Essayons d'être polie et courtoise au moins jusqu'à ce que tu soignes ce qui me sert de jambe.

Je retins un sourire lorsque Kasumi entra enfin dans mon bureau. Il ne valait mieux pas pour moi que je lui dise que cela faisait un peu moins de vingt minutes que je l'entendais et l'attendais... Cela pourrait compromettre légèrement nos retrouvailles familiales. Je me retournai, un sourire malgré moi, vers elle. Lorsque je vis sa jambe, je compris ce pourquoi elle était venue et retins de justesse une mine déçue, mes yeux cependant moins brillants que quelques secondes auparavant.

- J'imagine que tu viens ici pour ta jambe ... Assieds toi que je te soigne.

Je la fis s'asseoir dans un fauteuil de force avant de m'activer à la soigner ... je ne pus m'empêcher de lui souffler un :

- Je suis désolé...

Je ne retins pas un rire. Je secouai la tête.

- Non, pas du tout. Je pensais juste que les infirmiers étaient plus compétents que ça et que tu serais guérie toute seule.

Je fronçai les sourcils.

- D'ailleurs, elles m'ont dit que celui qui t'a soigné a trouvé dans ton sang une dose importante de drogues diverses, en particulier de la morphine et des substances faites pour tenir des périodes d'efforts physiques intense ... A quatre fois la dose prescrite dans ce genre de cas. Et ne m'interromps pas !

Je repris, la voix plus douce.

- Je ne comprends pas pourquoi tu veux absolument retourner auprès d'eux ... Tokyo est dangereuse, Kasumi. Même pour un Master ... Je sais que tu voulais absolument le devenir, mais ... Pourquoi ? Raconte moi, explique moi, s'il te plaît.

Je soufflai :

- Je t'en prie ...

Je la fixai, triste. Je connaissais la fin de cette phrase... Pour l'avoir entendue quelques années plus tôt.

- Kasumi ... Tu n'as rien à prouver à qui que ce soit, encore moins à eux ...Tu sais comment ils sont, bornés et rigides, froids et calculateurs. Ils ne reviendront jamais sur leurs préjugés ... Tu n'as rien à leur prouver, tu m'entends, rien !...

Sa jambe était totalement soignée. Je l'avais seulement paralysée pour que nous puissions parler sans qu'elle tente de partir en courant. Je posai ma main sur sa joue.

- Kasumi ...

J'écoutais ce qu'elle me disait, profondément blessé, mais n'en montrant rien. Lorsqu'elle eut fini, je me levai, et retirai toute paralysie de sa jambe. je m'éloignai d'elle, lui tournant le dos.

- Tu peux partir si tu le souhaites. Mais ... J'aimerais tellement que tu comprennes, je ...

Je me tournai et la regardai :

- Si tu le veux, je voudrais te faire lire quelque chose.

J'allai dans mon bureau, ouvrit un tiroir et en sortis un cahier à la couverture de cuir marron, et lui tendis.

- C'est mon carnet. Il raconte tout. Tout ce que tu veux savoir, et tout ce que je ne voudrais pas que tu saches. Il n'est pas achevé ... Mais je pense qu'il contient suffisamment de choses qui pourraient t'éclairer.

Mes yeux tristes tentaient de démentir le sourire que je lui peignais. J'étais prêt à tout. Prêt à tout pour qu'elle sache ... Pour qu'elle comprenne pourquoi.

J'avais regardé Kasumi lire sans la moindre émotion, si ce n'est un tressaillement lorsque j'avais vu ses poings se crisper, ou entendu sa respiration s'accélérer. Lorsqu'elle releva les yeux vers moi et vissa son regard au mien, je préférai me détourner. Je la sentais au bord des larmes... Je soufflai :

- Tout ce que j'ai écrit ici est vrai, absolument vrai. Tu as juste à choisir d'y croire ou non.

Je marquai une pause, et soupirai.

- Je comprendrai si tu ne veux plus jamais me parler. Je comprendrai si tu me traite de monstre, de menteur, ou bien de fou. Je comprendrai, ne t'en fais pas. Je voulais juste que tu saches ... Que non, je n'ai pas toujours vécu dans l'amour et l'admiration, mais plutôt dans l'indifférence et le noir; que oui je sais ce que ça fait, d'attendre désespérément une preuve d'amour d'un être cher, de languir sans espoir face à la douce indifférence qu'elle vous porte ... Oui, je sais, je sais ce que ça fait. Et si un jour tu as le cœur brisé par le départ de la personne qui t'es la plus chère au monde, viens me voir, je pourrai t'en parler, parce que je connais aussi.

Je la fixai.

- La balle est dans ton camp.

Je regardai Kasumi, en face de moi, éberlué, choqué, secoué, et terriblement, incroyablement heureux. Un poids s'enlevait de mon cœur et s'envolait... Je sentis ma gorge se nouer sous l'effet de l'émotion.

- Kasumi ... murmurai-je d'une voix enrouée.

Je tombai à genoux en face du fauteuil dans le quel elle était, puis la pris dans mes bras, pour la serrer contre moi. Je la tenais au niveau des épaules, ma joue contre ses cheveux.

- Rien que ces mots ... Venants de toi ... Me soulagent ... Je suis tellement heureux... Que tu comprennes enfin ... Je n'ai jamais voulu t'abandonner, jamais voulu te faire du mal, jamais te laisser entre leurs griffes, jamais ... Je suis tellement désolé...

Je marquai une légère pause, respirant à plein poumons, libéré, avant de continuer :

- Je n'ai eu de cesse de te surveiller, de veiller sur toi ... Je ne voulais pas qu'il t'arrive du mal, je ... Je m'inquiétais tellement. Kasumi ... Je voudrais tellement que tu oublies... Tout ce mal, toute cette douleur ... Si seulement je pouvais la soigner comme je guéris les blessures ... Je ferais tout pour guérir les peines de ton coeur ...

Et du mien ...

La première partie de sa tirade me fit peur. Cependant, lorsqu'elle continua, je sentis mon cœur s'alléger plus encore si cela était possible. je souriais comme un gamin heureux, comme un frère libéré.

- Ça me va, soufflai-je. Ça me va ...

Nous restâmes comme ça, moi, à genoux devant elle, me reconstituant un cœur, elle dans mes bras, respirant calmement. J'étais le plus heureux des hommes ... au bout de ces quelques minutes, je me détachai d'elle et lui souris, replaçant une de ses mèches folles derrière l'oreille.

- Allez, va courir. Je sais que tu en meurs d'envie. Profite de ta jambe ... Elle est entièrement guérie. tu peux laisser ta béquille là.

Je lui fis un sourire doux.

Je regardai Kasumi partir avec un léger sourire, puis soudain, éclatai d'un rire irrépressible et impossible à contenir ... Un rire que je n'avais pas eu depuis longtemps, un rire d'homme heureux. Je me calmai doucement, au bout de quelques instants, savourant ce moment de bonheur qui allait disparaître dès que j'allais me tourner de nouveau vers mon bureau, vers ces plans, ces stratégies, ces informations ...

Au bout de quelques minutes, je tournai mon visage souriant vers mon rôle de directeur. Je n'étais plus qu'un frère, hélas... Je soupirai et retournai à ma tâche...